C’est l’histoire d’une visite inopinée
D’une maison de rêve
Et d’un petit garçon imaginaire
{Image promo’ par Sweet Caro}

Le long des rues aux couleurs estompées par la grisaille, les trottoirs détrempés par la pluie luisent encore dans la pâleur du petit matin. Un léger souffle de vent effleure sa joue alors qu’elle se blottie plus profondément sous sa couette. Bercée par les rumeurs de la ville qui filtrent à travers les persiennes, elle devine que Nantes s’éveille lentement autour d’elle. Dehors, les lumières de la nuit s’éteignent, les unes après les autres, cédant la place aux balbutiments d’une nouvelle journée qui commence.
Jusque là, on aurait pu croire à un lundi de septembre comme les autres.
Mais, quelques minutes plus tard, la sonnette de la porte d’entrée retentit avec insistance, venant briser la paisible monotonie de la maison. A l’étage, une jeune femme aux boucles brunes et au teint métissé se retourne dans son lit en marmonnant quelque chose d’incompréhensible; elle presse si fortement son visage dans son oreiller que ses cheveux semblent s’y fondre. Mais, malgré ses efforts pour l’ignorer, la sonnerie résonne une nouvelle fois à ses oreilles la forçant alors à se dégager de l’étreinte de l’homme endormi à ses côtés. Encore ensommeillée, elle se glisse hors de ses draps, enfile son peignoir abandonné la veille au pied du lit.
- J’arrive, j’arrive, grommelle t-elle en dévalant les escaliers à la hâte.
Dans le miroir de l’entrée, elle jette un coup d’œil à son reflet et arrange ses cheveux d’une main souple. L’instant suivant, elle tourne prudemment la poignée de la porte. Une adolescente au visage pâle se tient debout devant elle, aussi droite qu’un bâton. Ses cheveux blonds semblent avoir été coiffé à la hâte, elle est à peine maquillée et de légers cernes gris se dessinent sous ses yeux verts. La jeune fille porte un pull en coton blanc sur un jean délavé et observe Maya avec un mélange de méfiance et de nervosité.
- Je suis bien chez Monsieur Depas ? ose t-elle après quelques secondes de silence.
- Et chez Madame Depas également !
L’adolescente fait craquer ses phalanges, plisse un peu les paupières comme pour s’excuser et baisse les yeux.
- Je suis désolée de vous déranger, balbutie t-elle dans un souffle, mais j’aimerai lui parler.
- A sept heures du matin ?
- S’il vous plait, insiste t-elle en rougissant, c’est important.
- Qu’est-ce qui se passe ?
Antoine vient d’apparaître en haut de l’escalier et Maya se retourne en sursautant.
- J’en sais rien, répond t-elle en toute franchise, une jeune fille qui te réclame !
Embrumé, il passe devant sa femme en bâillant et l’embrasse sur le front.
- Bonjour, lance t-il à la jeune fille qui n’a pas bougé d’un centimètre, est-ce qu’on se connaît ?
L’adolescente secoue timidement la tête. Antoine se tourne vers Maya et lui sourit, un brin amusé.
- Et qu’est-ce qui t’amène devant ma porte aux aurores ?
- Eh bien on ne se connaît pas, pas vraiment, mais en fait… vous, enfin… il y a longtemps… vous avez connu ma mère…
- A la bonne heure ! s’exclame Maya sans parvenir à dissimuler son trouble.
- Tu es sûre ? s’inquiète Antoine.
Cette fois, la jeune fille répond avec un hochement de tête énergique.
- Et comment elle s’appelle, ta mère ?
- Mathilde.
- Il lui est arrivé quelque chose ? demande t-il, soudain grave.
- Non, non elle va très bien. C’est juste moi qui aimerais vous parler.
Elle hésite, détourne le regard quelques secondes et ajoute:
- En privé.
- Mais ça l’est devant ma femme !
- S’il vous plaît…
Il y a dans le ton de sa voix un petit quelque chose de suppliant et d’enfantin. Antoine et Maya échangent un regard interrogateur. Puis, il esquisse un vague haussement d’épaules et finit par suivre la jeune fille sur le perron en prenant bien soin de claquer la porte derrière lui.
Une fois seule, Maya reste immobile quelques secondes. Puis, elle se dirige vers la cuisine où elle met la table du petit déjeuner pour s’occuper l’esprit. La jeune femme surveille d’un œil la pendule qui égraine de trop longues minutes. A travers la petite fenêtre de la cuisine, elle remarque qu’une pluie fine s’est remise à tomber et elle ne parvient ni à distinguer ce qui se passe à l’extérieur, ni à se défaire de l’anxiété qui la gagne. Maya ne sait pas expliquer pourquoi, mais elle a le sentiment que l’inconnue va perturber bien plus que le cours de leur journée. Finalement, sa curiosité a raison de sa patience, et la jeune métisse sort à son tour sur le perron, les deux mains posées sur les hanches.
- Est-ce que quelqu’un veut bien m’expliquer ce qui se passe ?
Surprise, la jeune fille aux boucles blondes sursaute en l’entendant approcher. Confuse, elle baisse des yeux rougis par les larmes. Maya les considère Antoine et elle sans bien savoir quelle contenance prendre. Son mari semble aussi embarrassé qu’elle.
- Maya, dit-il finalement en essayant d’adopter un ton calme et posé, je te présente Diane. Elle vient d’avoir quinze ans et c’est… ma fille.
* * *
Son I-pod enfoncé dans les oreilles, Mathilde court. Un simple « marcel » gris, son jogging noir serré à la taille et une petite queue de cheval tombant sur le bas de la nuque, la jeune femme traverse la promenade des anglais en joggeuse avertie, telle Gabrielle Solis à Wisteria Lane. La comparaison la fait sourire toute seule et elle accélère le pas au rythme cadencé du dernier tube de Shakira.
« Oh baby when you talk like that, you make a woman go mad so be wise and keep on reading the signs of my body… »
En ce début de soirée, les couleurs du ciel niçois ont pris des teintes orangées et le dernier ferry pour la Corse s’éloigne doucement vers l’horizon. Cette fois, Mathilde est bien décidée à courir jusqu’au port. Depuis quelques mois, la jeune femme s’oblige à faire du sport alors qu’elle a toujours détesté ça; pour se sentir belle dans les yeux d’un autre, elle prend soin d’elle plus qu’elle ne l’a jamais fait jusque là.
Avec Laurent, elle faisait moins d’efforts puisqu’il l’aimait, puisqu’il l’aimait tout le temps, partout, n’importe comment. Le matin au réveil, la nuit après l’amour, il l’aimait telle qu’elle était: avec ses deux kilos en trop, ses sautes d’humeur et ses petites rides au coin des yeux.
Mais avec Max, c’était autre chose. Avec lui, il lui semblait qu’elle avait encore tout à prouver, tout à apprendre. D’ailleurs, elle ne parvenait pas à comprendre pourquoi il était resté aussi longtemps célibataire; elle avait beau chercher une raison, un vice de fabrication, rien. Elle ne trouvait rien. Max était tendre, Max était drôle, Max était prévenant, Max était un brin intello. Et elle, plus elle le regardait, plus elle le trouvait beau: grand, brun, mystérieux et torturé juste ce qu’il faut.
A cette pensée, Mathilde rougit de plaisir et accélère encore la cadence.
Elle avait passé l’été à jouer les adolescentes transies, les doigts entremêlés entre les siens et des étoiles plein les yeux. Pour l’instant, Max désirait tenir leur relation secrète et elle n’avait pas posé de questions; ils profitaient l’un de l’autre tout en conservant leur indépendance et ça lui convenait parfaitement. Les filles devinaient son existence mais fermaient les yeux, lui reconnaissant tout de même l’avantage considérable de rendre leur mère plus « cool » et plus permissive. C’était presque trop beau pour être vrai ou quelque chose dans ce genre-là.
Oui, Mathilde était heureuse.
Et elle voulait que ça dure pour une fois. Parce que s’il y avait bien une chose dont elle n’avait plus la force, c’était de souffrir. De ce côté là, elle avait assez donné, merci. Au début du mois de septembre, la jeune femme avait engagé une baby-sitter pour la soulager et prendre la relève après l’école. Désormais, après le boulot, elle prenait enfin du temps pour elle. Le soir, Mathilde apprenait à connaître le corps de son amant et apprivoisait le sien tout à la fois.
Et puis parfois, elle se trouvait jolie.
Perdue dans ses pensées, la jeune femme met plusieurs secondes avant de réaliser que son portable vibre au fond de sa poche. Sentant soudain son cœur s’emballer dans sa poitrine, elle attrape l’appareil avec empressement et appuie sur la touche « répondre ».
- Allô ? dit-elle en pressant le téléphone contre son oreille.
- C’est moi, répond une voix masculine, tu me manques. Où es tu, que fais tu ?
- Là ?
- Oui, là, maintenant, tout de suite. Je pensais à toi, comme ça…
- Comme ça ?
- Comme ça oui, ou presque… alors ?
- Alors, je suis sur la prom’. *
- Madame se sculpte un corps de déesse ?
Mathilde étouffe un petit rire.
- C’est un peu ça, oui !
- Et Madame aurait-elle une demi heure à m’accorder demain après-midi par un hasard hasardeux ?
- Ça dépend de ce que Monsieur me propose, réplique t-elle avec malice.
Il hésite un instant et annonce:
- Je crois que je l’ai trouvé.
- Quoi ?
- La maison de tes rêves !
- Oh Max, tu sais bien que je ne pourrais jamais m’offrir la maison de mes rêves ! Avec la misérable pension que Laurent me verse, je ne suis plus si exigeante. Tout ce que je voudrais c’est que Diane ait une chambre pour elle toute seule et qu’il y ait un petit bout de balcon. Je ne supporterai pas de vivre enfermée et…
- Pourquoi tu ne me fais pas confiance pour une fois ?
- Mais…
- Mathilde, si j’avais une question sur le droit civil c’est à toi que je viendrai demander. Mais là, laisse moi faire mon métier. D’accord ?
Elle soupire. Objecte. Il ne veut rien entendre.
- Viens la voir au moins, insiste t-il, je suis certain que tu vas l’adorer ! Il y a un jardin, un balcon à l’étage et un joli petit escalier en bois. Tes filles auront chacune leur chambre et toi aussi. Bon, elle n’est pas très grande c’est vrai mais elle est douillette. Et puis de ton lit, tu verras la mer. En plus, elle est disponible tout de suite.
- Max…
- Et elle n’est pas si chère, conclut t-il sans lui laisser le loisir de protester d’avantage, je t’assure.
La jeune femme ébauche un sourire attendri et se laisse tomber sur une des petites chaises bleues alignées le long de la plage.
- Tu as gagnée, abdique t-elle, où est-ce qu’elle est, cette maison ?
- A l’Archet. Je t’attends demain à dix-neuf heures devant le collège de Diane, la villa est tout à côté tu verras.
Et clic, il raccroche avant qu’elle ait le temps de refuser. Toujours assise face à la mer, elle reste un instant interdite en essayant d’assimiler les informations qu’il vient de lui transmettre. Songeuse, la jeune femme laisse son regard se perdre au-delà des voiles des bateaux, admirant le trait parfait de la ligne d’horizon qui se dessine le long du ciel azur. Les mouettes planent lentement sous les nuages et Mathilde sourit, imperceptiblement.
Quelques minutes plus tard, elle n’a toujours pas reprit sa course lorsque son téléphone sonne à nouveau, la sortant de sa torpeur.
- Allô ? roucoule t-elle, persuadée que Maximilien sera à l’autre bout du fil.
- Mathilde Hardeketing ?
- C’est moi, répond t-elle sans parvenir à dissimuler une pointe d’étonnement.
- Madame Philiatre à l’appareil, la directrice de l’école de vos enfants. Je vous appelle pour que nous prenions un rendez-vous le plus vite possible. Je voudrai que nous parlions de votre fille, c’est important.
- Vous me devancez, j’allais justement vous appeler ! Iris m’a tout raconté et je pense aussi qu’il est plus qu’urgent de régler cette histoire de racket.
- Mais il ne s’agit pas d’Iris, Madame. C’est de Lucie dont il est question.
* * *
La porte de la salle de bains s’ouvre brusquement.
Et Maya la referme avec tout autant de virulence. Elle s’approche de l’évier, se penche, ouvre le placard de dessous et prend une éponge et du Cif. Elle commence par la baignoire. Certains mangent quand ils sont énervés, d’autres boivent, d’autres encore font du shopping. Elle, elle fait le ménage. C’est ainsi qu’Antoine la trouve à quatre pattes par-dessus le rebord de la baignoire.
- Maya…
La jeune femme accélère le rythme.
- Je n’étais pas au courant, je t’assure.
-
- Si j’avais su, je…
Elle se relève, telle une tigresse.
- Tu quoi ? Tu aurais fait quoi ?
- Je t’en aurais parlé, bien sûr !
Elle se retourne en soupirant. 
- Maya ! Tu me crois, j’espère ?
- Qu’est-ce que tu veux que je te dise ? Cette gamine nous tombe dessus et prétend être ta fille…
- Elle ne prétend pas être ma fille, elle l’est.
- Eh bien, tant mieux. Comme ça, tu dois moins t’en vouloir d’avoir épousé une femme qui ne peut pas te donner d’enfant, puisque tu en as déjà un !
Antoine ouvre la bouche pour protester devant cette attaque, mais ne trouve rien à répondre et secoue seulement la tête.
- Maya, je comprends que tu sois bouleversée et je veux bien croire que ce que tu as dit était sous le coup de la colère. Je vais te laisser et rejoindre Diane.
Il sort de la salle de bains. Maya regarde la porte blanche et après quelques secondes, lance l’éponge dessus avec fureur. Un instant plus tard, elle rejoint leur chambre à l’autre bout du couloir et attrape son téléphone portable sur la table de chevet. Elle navigue sur son répertoire rapidement, appuie sur la touche “Appel” et attend.
Une voix ensommeillée lui répond.
- Allô ?
- Il a une fille !
Un silence interloqué se fait au bout du fil. Maya entend Alexandre repousser ses draps.
- Maya ? C’est toi ?
- Oui…, dit-elle d’une toute petite voix.
- Qu’est-ce qui se passe ? Qui a une fille ?
Il y a de l’angoisse dans sa voix et Maya, malgré tout, sourit. Quoiqu’il arrive, elle sait qu’elle peut toujours compter sur Alexandre.
- Antoine. Antoine a une fille.
- Antoine ? Mais com… ? Non, je sais comment, bredouille t-il en étouffant un petit rire, je veux dire, tu es sûre ?
- Oh oui, j’en suis sûre, surtout qu’elle se trouve en ce moment même dans notre salon.
- Et… comment est-elle ?
- Comment elle est ?
Maya se passe une main sur le front.
- Je ne sais pas. Blonde. 15 ans. L’air buté. Normale, quoi.
- Ah, mais c’est une ado !
Alexandre semble soudain soulagé.
- Mais oui, c’est une ado ! Qu’est-ce que tu croyais ?
- Eh bien, vu comment tu étais affolée, j’ai cru que… qu’Antoine, dans un moment total de folie, t’avait trompée et que…
- Non ! Il ne me ferait pas ça ! Enfin, je crois…
- Bien sûr que non, il ne le ferait pas. Il est fou de toi. C’était juste une hypothèse totalement farfelue qui ne se produira jamais. Jamais, Maya.
La jeune femme renifle. Elle a bien besoin d’entendre ce genre de choses.
- Il était au courant ?
- Non. En tout cas, c’est ce qu’il me dit.
- Donc, il n’était pas au courant.
Une deuxième fois, Maya sourit. Alexandre ne doute jamais de rien, e trouve toujours quoi dire pour la remettre d’aplomb.
- Bon, reprend le jeune homme. Est-ce que ça change quelque chose ? Il a eu une fille il y a 15 ans. Soit. Mais c’était il y a longtemps, bien avant que vous ne vous rencontriez…
- J’avais 11 ans à l’époque…
- …et il n’était pas au courant, continue Alexandre comme si elle n’avait rien dit (il n’a absolument aucune envie d’entamer une nouvelle discussion sur la différence d’âge entre Maya et Antoine, il a déjà donné). Donc, je répète, est-ce que ça change quelque chose ?
- Je ne sais pas… Un peu quand même. Je connais Antoine, il ne va pas la laisser sans aller comme ça. Il voudra… assumer, comme on dit.
- Et ?
- Et… Oh, Alexandre, tu me vois jouer le rôle de la marâtre ?
Il rit.
- Non, toi, tu es plutôt Cendrillon ! Maya, tu n’as pas de “rôle” à jouer. Laisse venir les choses comme elles doivent venir. De quoi tu as peur ? Qu’il retourne avec la mère de cette fille ? C’est ridicule. On n’est pas une série made in TF1, bon sang ! Il t’adore, vous vous êtes mariés, et vous le resterez. Point final. Maintenant, est-ce que je pourrais finir ma grasse matinée dominicale, s’il te plaît ? demande-t-il d’une voix à l’agonie.
Maya éclate de rire, malgré elle. Elle est maintenant certaine qu’elle a bien fait de l’appeler.
- On est lundi Alex !
- Tu chipotes, je peux dormir tranquille oui ?
- Bien sûr, flemmard. Je t’embrasse.
- Moi aussi, ma belle.
- Et embrasse Will de ma part.
- Pas de problème.
* * *
Attablés dans un petit jardin à l’arrière d’un bistrot au cœur du vieux Nice, Florence et Simon partagent une salade aux couleurs du Sud. La jeune femme prend bien soin de rester concentrée sur le contenu de son assiette alors que l’homme assis en face d’elle la contemple pensivement.
- Tu es vraiment magnifique, dit-il finalement en ponctuant sa phrase d’un petit hochement de tête satisfait, je ne m’attendais pas à rencontrer une femme comme toi.
- Ah bon ? demande t-elle, une pointe d’agressivité dans la voix.
- D’habitude les filles sur « Meetic » me déçoivent toujours.
- Tu en as rencontré beaucoup ? questionne t-elle sur un ton laconique.
Il hausse vaguement les épaules et lève les yeux au ciel.
- Oh je ne compte plus, réplique t-il d’un air goguenard.
- Je vois.
Il pose une main sur la sienne.
- Je plaisante, ajoute t-il avec douceur.
Elle retire sa main avec une douce fermeté et le gratifie d’un sourire narquois.
- J’avais compris, merci.
Il engloutit une nouvelle bouchée alors qu’elle se ressert un verre.
- Alors, demande t-il en affichant un petit air malicieux, quels genres de trucs tu aimes faire ?
- Pardon ?
Il a posé sa fourchette. Paraît un peu déconfit. Et puis passe une main dans ses cheveux blonds.
- Eh bien oui, tu n’as pas, je ne sais pas moi…
Elle fait mine de ne pas comprendre. Lui baisse la voix:
- Des petits fantasmes ?
Sur le comptoir à l’intérieur du restaurant, un poste de radio diffuse ironiquement une chanson familière de Carla Bruni.
« Raphaël a l’air d’un ange mais c’est un diable de l’amour; du bout des hanches et de son regard de velours, quand il se penche… Quand il se penche mes nuits sont blanches… »
La jeune femme rougit en avalant une nouvelle gorgée de vin, pose doucement son verre sur la table et prend une profonde inspiration. Elle ne peut pas s’empêcher d’imaginer la bave dégouliner au coin de la bouche de Simon. Elle aimerait bien lui tendre une serviette mais il ne comprendrait pas, trop subtil. Alors elle se contente de ramasser son sac qu’elle a posé par terre et de se lever avec empressement:
- Si, j’ai des fantasmes figure toi, rétorque t-elle. Mais aussi étonnant que cela puisse paraître, coucher le premier soir avec un beauf que j’ai rencontré sur Internet n’en fait pas parti.
Sans lui laisser la chance de répliquer quoi que ce soit, Florence ajoute d’une voix sucrée:
- Mais merci pour le repas, c’était vraiment délicieux.
Et puis elle tourne les talons.
* * *
Diane est assise dans le salon de ce père dont elle ne connaît rien, les fesses posées prudemment au bord du canapé. Installée derrière la table du séjour sur laquelle s’amoncèlent feuilles gribouillées et dictionnaires d’anglais, Maya joue du bout des doigts avec un petit médaillon en argent accroché autour de son cou. Songeuse, la jeune métisse laisse ses yeux se perdre sur l’étagère en bois où sont disposés de nombreux cadres photos. Alors qu’elle l’observe à la dérobée, Diane surprend un sourire qu’elle adresse à un groupe de jeune adolescents; figés par le temps, leurs silhouettes espiègles se détachent sur une image en noir et blanc.
- Tu veux boire quelque chose ? lui demande soudain Maya.
- Non, merci.
Au loin, le brouhaha de la ville semble se dissiper dans du coton. Désormais, Diane ne perçoit plus que le tic-tac régulier de l’horloge murale et la respiration saccadée de Maya. Celle-ci porte un simple jean et un joli débardeur rose mettant en valeur sa peau café au lait. Ses boucles brunes tombent en cascade sur ses épaules dénudées.
- Tes parents savent que tu es ici ?
Diane secoue lentement la tête, de gauche à droite.
- Ils ne vont pas s’inquiéter ?
La jeune fille hausse vaguement les épaules.
- Qu’est-ce que ça veut dire, ça ?
- Qu’ils s’en fichent, voilà ce que ça veut dire. Mon père est parti en Afrique, soit disant pour son boulot.
- Soit disant ?
- Moi, je crois que c’est plutôt parce que ma mère et lui se disputent tellement qu’il n’y a plus assez de place pour eux deux sur un seul continent.
- Je suis sûre que tu exagères, tente maladroitement Maya qui ne la comprend que trop bien.
- J’ai dit à ma mère que j’allais passer quelques jours chez une amie et elle m’a juste suggéré de bien me couvrir et…
- Et tu t’es bien couverte, achève Maya avec malice en détaillant le pull-over que Diane n’a pas quitté malgré la douceur de la température qui règne dans l’appartement.
- Quand est-ce qu’Antoine va rentrer ?
- Ce soir, vers dix-neuf heures.
La jeune fille pousse un soupir faussement désespéré et se laisse tomber dans le fond du canapé.
- Il travaille dur tu sais, explique gentiment Maya, je suis sûre qu’il aurait aimé faire autrement.
- Et toi, tu ne travailles pas ?
- Si, mais je bosse depuis la maison et je peux aménager mon emploi du temps d’une façon plus souple.
Diane ne réagit pas.
- Du coup, reprend Maya en s’animant au fur et à mesure qu’elle parle, je me disais qu’on pourrait peut-être aller faire un tour, toi et moi, en l’attendant. Qu’en penses tu ? Nantes est une très jolie ville et j’y habite depuis longtemps, je pourrais te faire découvrir des petits coins sympas et…
- Non merci, rétorque sèchement l’adolescente.
Maya médite un instant la réponse de Diane puis lui demande doucement:
- Et qu’est-ce que tu veux faire, alors ?
- Rien. Rien avec toi.
La jeune femme pose un regard sévère sur l’adolescente et prend une profonde inspiration avant de dire:
- Bon écoute-moi bien petite peste, j’imagine parfaitement à quel point ta vie doit être compliquée en ce moment mais ce n’est pas une raison pour te comporter de cette façon avec moi. Je te signale quand même que je n’y suis pour rien et que j’étais en couple avec Antoine avant que tu débarques dans sa vie. Alors je te conseille de calmer un peu le jeu sinon ça va mal se finir, est-ce que c’est clair ?
Le visage de Diane se brouille instantanément et elle se met à triturer les franges de son pull-over pour se donner une contenance. Un peu radoucie par l’attitude penaude de la jeune fille, Maya se remet au travail.
Un instant plus tard, Diane jette son portable d’un air rageur sur le canapé et croise les bras d’un air boudeur.
- Ça va ?
- Oui, oui, répond l’adolescente en prêtant une attention particulière à ses ongles.
Maya hausse les épaules et replonge le nez dans sa paperasse; pendant quelques minutes, on n’entend plus que le tapotis de ses doigts sur le clavier de son ordinateur portable. Elle est tellement concentrée sur sa tâche qu’elle ne voit pas que Diane s’est approchée et regarde maintenant par-dessus son épaule. Elle sursaute.
- Désolée si je t’ai fait peur…
- Non, non, ce n’est pas grave.
- Tu travailles sur quoi ?
Maya attrape un manuscrit.
- Sur un livre pour enfants, The little turtle who wants to have a hair slide.
Diane penche la tête sur le côté.
- La petite tortue qui voulait avoir… ça veut dire quoi “hair slide” ?
Maya sourit en attrapant sa tasse de café.
- Une barrette pour les cheveux.
L’adolescente ouvre des yeux incrédules.
- La petite tortue qui voulait avoir une barrette ?
- Je sais, je sais mais je me contente de traduire ! Et c’est très mignon, en fait.
- Comment ça se fait que tu parles si bien anglais ?
Maya avale une gorgée.
- J’ai habité à New York pendant cinq ans, et j’y retourne au moins une fois par an depuis.
- Oh…
Un éclair jaune passe devant la fenêtre. Maya lève la tête.
- Tiens, voilà le facteur.
Diane saute sur ses pieds et attrape une petite clé accrochée à un crochet.
- J’y vais !
Elle a envie de se dégourdir les jambes et même une petite promenade de 50 mètres lui profitera. Elle revient deux minutes plus tard, des enveloppes dans les mains. Elle les pose sur la table et Maya les parcourt distraitement des yeux. Son regard s’illumine soudain à la vue d’une lettre en provenance de l’étranger. Elle déchire rapidement l’enveloppe tandis que Diane, retournée s’affaler sur le canapé, la regarde faire avec curiosité.
- Elle vient d’Afrique, non ?
Maya se tourne vers elle.
- Enfin, je veux dire, je n’ai pas lu la lettre, mais j’ai vu qu’elle venait d’Afrique, et comme mon père… enfin, Laurent, mon autre père, y est, eh bien, ça m’a interpellé.
- J’ai une amie qui y est aussi. Au Burkina Faso.
- Oh.
Diane meurt d’envie d’en savoir plus, mais elle se ravise en se souvenant soudain qu’elle doit être indifférente. Elle reprend donc la contemplation du mur d’en face, et Maya secoue la tête avec amusement. Les adolescentes bornées, elle connaît, et pour les amener à l’apprécier, elle n’a pas son pareil. Elle a bien réussi avec Lucie, ça ne devrait pas être difficile avec Diane.
Elle en est certaine.
* * *
Depuis son retour à l’atelier après son déjeuner foireux avec Simon, Florence est furieuse. Incapable de se concentrer plus de cinq minutes sur ses croquis, elle décide de surfer un peu sur le net afin de jeter un œil aux collections d’automne de quelques grands créateurs. D’abord, elle manque de tomber à la renverse devant un sac sublime signé Vanessa Bruno, puis elle rit toute seule devant son écran en envoyant à Mathilde une carte virtuelle avec un petit cochon qui danse. Ensuite, elle vérifie ses comptes en étouffant un juron, parcourt quelques annonces sur un forum de voyages, et finit par faire ses courses en ligne sur le site de Monoprix. Son crayon glissé derrière l’oreille, la jeune femme s’apprête à valider sa commande sur son compte Yahoo lorsqu’elle s’aperçoit avec stupeur qu’un mail de Raphaël l’attend depuis la veille dans sa boîte de réception. Clignant des paupières afin de s’assurer qu’elle ne rêve pas, Florence sent ses doigts se figer sur le clavier et sa main droite diriger le curseur sans même qu’elle s’en rende compte. Son cœur s’emballe lorsqu’elle double clique sur le message et elle maudit à voix haute le téléchargement du premier épisode de la deuxième saison de “Sverka” qui ralentit son PC.
« Ma Flo,
J’espère que tu vas bien. Je t’écris juste un petit message sans prétention pour te donner quelques nouvelles du bout du monde ! Je suis désolé de ne pas avoir écrit plus tôt mais les ordinateurs sont rares par ici. Et puis je ne m’inquiète pas trop, je sais que tu as eu des échos par Laurent.
Tu me connais, je ne suis pas très doué pour mettre des mots sur ce que je vois mais si je devais te décrire Addis-Abeba, je dirai que la ville rappelle le Maroc. C’est vrai, tout ici me fait penser au Maghreb: le climat, les couleurs, la gentillesse des gens, l’effervescence…
Il fait doux pour l’instant et je t’écris ce mail depuis un cyber café près de notre nouvel hôtel, le « Debre Damo. ». En fait, on a changé il y a quelques jours pour me rapprocher de l’endroit où je bosse. Avant, c’était un peu compliqué parce qu’on s’y rendait avec un bus qui roulait à la vitesse d’un escargot atteint de la maladie de parkinson ! Henock, un des obstétriciens avec qui je travaille au Fistula Hospital, m’a appris que, contrairement a ce que je croyais, je me suis retrouvé dans un quartier plutôt développé de la capitale… enfin, j’avoue qu’il y a  des petits commerces un peu partout, et une route large et goudronnée avec tout plein de taxis collectifs. J’adore tous les panneaux écrits en « amharique » !
Ma chambre est bien plus petite maintenant mais il y a une bonne atmosphère, j’ai l’impression qu’il n’y a que des Ethiopiens dans les autres chambres. J’ai vite sorti mes petites affaires: une photo des enfants sur ma table de nuit, ma guitare, un coup d’encens et hop, on est chez soi ! Laurent a encore un peu de mal à s’adapter mais je suis certain qu’il va finir par s’y faire et que ça lui fera le plus grand bien. La preuve, cet après-midi, il m’a seulement radoté 2 anecdotes à propos de Mathilde. DU JAMAIS VU ! ;-) D’ailleurs, dans quelques heures, je l’emmène dîner avec une des responsables de la mission, et on va voir un peu mieux ce qu’il peut faire pour eux. Elle devrait aussi m’aider à trouver une chambre pour du long terme.
Tu me manques affreusement. Le soir, je dessine les contours de ton corps et la tête m’en tourne. Je repense sans arrêt aux mots que tu as prononcés avant que je monte dans l’avion et… je m’en veux d’être aussi con ! Embrasse Morgane et Hugo pour moi. Bientôt, je leur enverrai les photos que j’ai prises des sourires des enfants éthiopiens et quelques unes des animaux bizarres que j’ai croisés ici !
Prends soin de toi,
Raph. »
Une fois parvenue au point final, Florence soupire avec un vague sourire. Elle remarque avec une tristesse contrôlée que Raphaël parle « des » enfants mais de « sa » table de nuit. Elle sait que c’est idiot mais elle ne peut pas s’empêcher de relever qu’il s’approprie plus facilement plus un objet du quotidien que ses propres gamins. Elle trouve ça dingue qu’un simple mail puisse révéler tellement de choses sur la personnalité de quelqu’un. Autant qu’une lettre, finalement. Enfin, qu’il écrive avec une plume ou un clavier, Raphaël est toujours le sale égoïste qu’il a toujours été. D’ailleurs, il ne lui manque absolument pas. Mieux, elle le déteste.
Une demie seconde plus tard, Florence fond en larmes.
Au même instant, la porte de l’atelier s’ouvre à la volée et la jeune femme détourne vivement la tête afin de ne pas laisser voir le chagrin dessiné dans ses yeux.
- Dis donc, ma belle, s’exclame sa collègue en marchant d’un pas chaloupé jusqu’au bureau, tu fais chavirer tous les cœurs de la ville décidemment.
Mélanie mesure un mètre soixante à tout casser, est un peu trop ronde mais prétend que c’est la mode et a une petite flamme qui danse dans ses yeux sombres. Tout un poème.
- Hé bien, ajoute t-elle en posant un énorme bouquet de fleurs devant Florence qui lève le nez d’un air étonné, faudra que tu me donnes ton petit secret un de ces quatre !
Et puis elle tourne les talons et prend bien soin de claquer la porte derrière elle pour faire son petit effet. Restée seule, Florence ébauche un début de sourire; son cerveau fonctionne à toute allure et elle s’imagine un million d’histoires à la seconde, la plus plausible d’entre elles étant certainement celle où Raphaël l’attend nu dans le patio, une dernière rose coincée entre les dents. D’une main fébrile, Florence arrache la petite carte agrafée sur le bouquet et s’empresse de déchiffrer l’inscription:
« Mon fantasme à moi serait d’embrasser le petit grain de beauté qu’on devine au cambré de tes reins. Love, Simon. »
* * *
Le lendemain
Ce matin encore, Antoine a été obligé de retourner travailler au grand désespoir de Diane. L’adolescente se rend compte avec déception qu’il ne suffit pas de débarquer chez son père pour entrer dans sa vie. Maya a quelques courses à faire et lui propose de l’accompagner pour se changer les idées. La jeune fille accepte du bout des lèvres. Elle se serait rendue à l’échafaud qu’elle n’y aurait pas mis plus de mauvaise volonté.  Maya l’entraîne à l’arrêt du Navibus - un attrape-touristes, selon elle, mais tellement pratique et qui lui a toujours fait gagner une demi-heure minimum sur le trajet en tramway. Et puis il fait beau, il n’y a pas beaucoup de vent, ce sera un plaisir de parcourir la Loire dessus.
Elles s’assoient toutes les deux hors de la cabine, laissant les embruns fouetter leurs visages. Depuis son arrivée la veille, Maya voit Diane sourire pour la première fois.
- Je suis désolée.
Elle a parlé si doucement que Maya se demande si elle n’a pas rêvé.
- Je sais que je n’aurais pas du débarquer comme ça, mais …
Diane hausse les épaules. Maya se mord la lèvre.
- Je crois que je te dois des excuses, moi aussi. Je n’ai pas été particulièrement accueillante, hier.
La jeune fille se redresse et la regarde dans les yeux.
- Oh, mais, c’est normal ! Je suis arrivée sans prévenir. Alors que vous avez vos vies tous les deux, et ensemble, sans moi. Je comprends tout à fait.
Maya hoche la tête. Elle comprend aussi. Elle comprend en effet ce que Lucie a du ressentir, dix ans plus tôt, quand elle a débarqué dans leurs vies sans crier gare. Elle esquisse un petit sourire en pensant à son amie et se demande ce qu’elle est en train de faire à cet instant précis.
- En fait, reprend Maya, je crois que… j’étais aussi un peu jalouse de toi.
L’adolescente ouvre de grands yeux étonnés. Elle n’en revient pas. Maya, Maya avec ses beaux cheveux noirs et sa peau chocolat au lait, jalouse d’elle ?
- Jalouse de moi ? Mais tu es folle ?!
Maya hausse les épaules à son tour.
- Pourquoi pas ? Premièrement, je ne suis plus la seule dans le cœur d’Antoine, désormais, je vais devoir le partager. Et puis… je crois que je t’en voulais d’avoir deux pères, alors que je n’ai jamais eu la chance de connaître vraiment le mien.
Diane lève un sourcil interrogateur. Maya détourne les yeux, et laisse son regard se perdre sur les immeubles du bord du fleuve.
- Mes parents sont morts dans un accident de voiture, quand j’avais cinq ans… Oh, et puis, dit-elle en reportant le regard sur la jeune fille, je peux bien te le dire: Antoine et moi, on essaye d’avoir un enfant. Mais on n’y arrive pas… ou plutôt, devrais-je dire, je n’y arrive pas. Puisque tu es la preuve vivante que lui le peut.
Diane ne sait pas quoi dire, aussi elle soulagée de voir qu’ils arrivent à quai. Quelques minutes plus tard, alors que Maya presse le pas le long des rues ensoleillées de Nantes, elle entend l’adolescente dire dans son dos:
- Je préférerai quand même avoir deux petits copains plutôt que deux papas, ce serait vachement plus sympa !
Surprise, Maya se retourne vers elle en ébauchant un début de sourire.
- A ta place, dit-elle, je n’en serai pas aussi sûre ! Réussir à gérer un seul mec, c’est déjà assez compliqué.
- Alors ça, j’ai remarqué.
- Ah bon, tu as remarqué ?
Diane sent ses joues s’empourprer malgré elle. Un demi sourire accroché au bord des lèvres, Maya l’invite à poursuivre d’un geste du menton.
- C’est qu’il y a un garçon, balbutie finalement la jeune fille.
- Un garçon pour qui tu as le béguin ?
- Oh c’est loin d’être aussi simple !
- Non bien sûr, approuve Maya en ponctuant sa phrase d’une grimace amusée, ce n’est jamais simple.
Diane rit.
- Bon, si je comprends bien, récapitule la jeune métisse tout en marchant, ce garçon ignore tes textos alors que c’est lui qui commencé à te draguer ?
- Comment tu sais ?
- Je t’ai vu bouder avec ton portable à la main ! Et puis, je suis très forte.
- Tu as connu ce truc-là ?
- Oh oui, bien trop souvent !
- Pourquoi c’est difficile comme ça ?
- Parce que aimer, c’est avant tout se mettre en danger.
- C’est que, tu vois, j’ai tellement la trouille de le perdre pour de bon, qu’il rencontre une autre fille et qu’il la préfère à moi.
- Je comprends ta trouille, c’est vrai qu’à quinze ans les garçons sont assez volages.
- Et après ?
- Ensuite, ça s’arrange. Enfin, il paraît !
Après un bref instant de réflexion, Diane adopte une petite moue découragée.
- S’il sortait avec une autre, s’exclame t-elle avec fougue, je ne m’en remettrai jamais !
- Si, si ! Je sais bien que c’est dur à croire à ton âge, mais on s’en relève j’ai testé pour toi !
- Mais qu’est-ce qu’il faut que je fasse pour le rendre amoureux ?
- Avec les garçons, tout est dans la distance. La part de mystère, c’est ce qui les rend dingues ! Et puis veille à ta réputation, c’est une question d’équilibre.
- Quoi ?
- Je crois que tes parents me tueraient s’il m’entendait te dire des choses pareilles…
- Dis-moi, dis-moi ! supplie la jeune fille en trépignant.
Maya esquisse un petit sourire espiègle, ravie de faire durer le suspens.
- Si tu fuis la compagnie des garçons, explique t-elle, ils te prendront pour une sainte-nitouche et tu ne seras pas considérée par eux. Mais si tu es trop souvent fourrée avec eux, tu passeras pour une fille facile et ils apprécieront ta présence pour de mauvaises raisons, tu comprends ?
Diane acquiesce d’un hochement de tête énergique qui fait valser ses boucles blondes.
- Mais toi Maya, demande t-elle doucement, qui t’as expliqué tout ça quand tu avais mon âge ?
La jeune femme baisse tristement les yeux.
- Personne.
Elle reste un instant silencieuse et ajoute:
- Mes parents étaient déjà morts et que ce n’était pas le genre de choses dont je parlais avec ma tante. Et tu sais, c’est beaucoup plus difficile de ne pas avoir le vertige dans ces conditions.
Les paroles de Maya flottent un instant dans l’air, suspendues au dessus d’elle comme un voile opportun, et la jeune métisse ébauche une grimace amusée pour dissiper la confidence.
* * *
Il est presque dix-sept heures et Mathilde jette un coup d’œil impatient à l’horloge mural qui égraine de trop longues minutes. La pâle lueur du soleil de septembre se glisse à travers la fenêtre entrouverte et l’odeur des fournitures scolaires lui rappelle les jours d’école de son enfance. Elle se souvient de la peur qui lui tordait le ventre le matin de la rentrée et des heures de colles passées à recopier des lignes inutiles. Le bureau où elle se trouve est impeccable et austère malgré les quelques dessins d’enfants punaisés ici et là. En face d’elle, l’institutrice de Lucie enlève ses lunettes, pose les coudes sur le rebord de son bureau et se penche vers elle.
- Je suis contente que vous ayez pu venir aussi vite, déclare t-elle alors que son visage se crispe, parce que le cas de votre fille m’ennuie beaucoup.
Elle a sans doute à peine la trentaine mais quelque chose dans son regard traduit la sévérité. Un petit quelque chose qui inspire le respect et l’obéissance. Pourtant elle laisse passer un moment de silence, comme si elle cherchait la meilleure formule pour exprimer ce qu’elle voudrait. Finalement, elle annonce:
- Madame Hardeketing, nous ne savons plus comment réagir face à l’ami imaginaire de Lucie.
Mathilde hausse vaguement les sourcils et dévisage la jeune femme sans comprendre.
- Tant que ce garçon fantôme n’était qu’un jeu pour elle cela ne posait pas vraiment de problème, reprend t-elle d’une voix ferme. C’était étonnant, certes, mais ce genre de réaction est commune chez les enfants ayant une situation familiale difficile et…
- Une situation familiale difficile ?
- Eh bien oui, bredouille l’institutrice en jouant avec les branches de ses lunettes, j’ai appris que vous étiez en plein divorce et que votre mari était récemment parti pour l’Afrique.
- Mais ce n’est pas définitif, précise Mathilde dans un pauvre effort pour se justifier, mon ex-mari est journaliste et il devait faire un… un reportage sur ce pays.
- Oui bien sûr, bien sûr. Mais le fait est que votre fille traverse une période difficile et qu’elle n’arrive pas à gérer la situation.
- Elle est pourtant très soutenue, la contredit Mathilde, Laurent et moi faisons attention aux sentiments de nos enfants, on essaye d’être honnête et on discute beaucoup avec eux.
- Je ne remets pas cela en doute, Madame. Pourtant, j’ai entendu dire que votre fille aînée, Diane, devait faire face à certains problèmes scolaires dernièrement et que la cadette avait eu des petits soucis avec ses camarades de classes. Je me trompe ?
- Mais Iris n’était pas en cause, c’était une histoire de racket dont elle était la victime ! Pourquoi est-ce que j’ai l’impression désagréable d’assister à mon procès ?
L’institutrice étouffe un petit rire gêné.
- Voyons, voyons, il ne s’agit que d’une impression. Personne ne vous juge. Je sais très bien a quel point il est difficile d’élever seule ses enfants et…
- Je ne suis pas seule, s’emporte Mathilde en une bravade désespérée, Lucie a un père et il est très présent !
- C’est précisément le problème, réplique brièvement son interlocutrice.
- Je vous demande pardon ?
La jeune femme en face d’elle la gratifie d’un léger sourire.
- Etant donné l’importance que son père occupe habituellement dans sa vie, explique t-elle, il est normal que Lucie ressente un manque dû au départ de votre mari. D’abord le divorce, et maintenant ce voyage. Comprenez bien que, pour elle, ces deux événements sont intimement liés; votre fille se sent abandonnée et cela influence forcément son comportement. N’avez-vous pas remarqué qu’elle était plus songeuse ces derniers temps, plus effacée ?
Mathilde sent sa main trembler et s’empresse de la glisser sous la table. Confuse, elle baisse les yeux et hoche doucement la tête alors que l’institutrice poursuit:
- Voilà pourquoi je pense que ce Barney, ce petit garçon qu’elle imagine, est une sorte de substitut pour elle. Un remède à l’absence de son père, vous comprenez ?
- Mais…
- Le problème, enchaîne la jeune femme sans lui laisser le temps de répliquer, c’est que j’ai l’impression que Lucie a complètement perdu la notion de ce qui était réel et de ce qui ne l’était pas. La frontière s’efface, ce n’est plus un jeu désormais, et elle est maintenant persuadée que Barney existe pour de vrai. Depuis quelques jours, elle insiste pour qu’il ait une place en classe, qu’on s’occupe de lui au même titre que les autres et qu’il ait une assiette à la cantine. Ce matin, lorsque j’ai refusé de faire jouer Barney au ballon prisonnier, Lucie a piqué une véritable crise et je n’arrivais plus à la calmer. Vous conviendrez bien, Madame, que nous ne pouvons pas continuer ainsi. Cette situation n’est ni saine pour votre fille ni pour l’équilibre psychologique des autres enfants. Quant à moi, je ne suis absolument pas qualifiée pour régler ce genre de problèmes.
Voyant que Mathilde ne réagit pas, la jeune femme ajoute d’une voix se voulant plus douce:
- Aussi, je vous recommanderai vivement d’avoir recours aux services d’un professionnel.
Mathilde secoue la tête dans un mouvement de défi.
- Et si je refuse ?
D’abord interloquée, la maîtresse médite l’information une seconde puis réplique avec fermeté:
- J’espère que nous n’en n’arriverons pas à de telles extrémités, mais si la situation devait perdurer, j’ai bien peur que nous ne devions alors vous demander de retirer Lucie de notre école.
Quelques instants plus tard, Mathilde cherche Lucie du regard et la trouve assise, toute seule, au fond de la cour de l’école. Le soleil bascule déjà derrière le grand bâtiment en pierre et il ne reste plus qu’elle, petit bout de femme aux grands yeux clairs agrandis par les larmes.
Vulnérable. Mutine. Incapable de faire front.
La surveillante en blouse bleue paraît soulagée de voir Mathilde s’approcher. De loin, celle-ci esquisse un signe de vague explication, hoche la tête, sourit comme pour quémander un peu d’indulgence et tourne les talons alors que Lucie lui emboîte le pas.
Lorsqu’elles dépassent le grand portail en fer, la petite fille ravale un sanglot, glisse sa main dans celle de sa mère et lui demande d’une petite voix hésitante:
- Dis maman, est-ce que tu es en colère contre moi ?
La jeune femme s’agenouille à la hauteur de la fillette et attrape son menton entre deux doigts:
- Bien sûr que non ma puce, assure t-elle en secouant la tête, je ne suis pas en colère contre toi. Je suis simplement un petit peu étonnée, pourquoi ne m’avais tu jamais parlé de ce garçon ?
- Parce qu’il ne vient pas à la maison, explique Lucie comme s’il s’agissait d’une évidence.
- Ah non ?
- Non, mais il est là quand j’arrive à l’école.
- Il est toujours avec toi ?
La fillette dodeline de la tête.
- Des fois oui, d’autres fois non.
- Où va-t-il alors ?
- Je ne sais pas, je n’y suis jamais allée.
- Et à quoi il ressemble, ce petit garçon ?
- Il n’a pas de visage et il ne peut pas parler. Il est très, très timide. Mais il peut voler. Pas comme Peter Pan, juste un peu au-dessus du sol. Et puis pouf, conclut-elle en faisant retomber ses bras le long de son petit corps frêle, il retombe.
- Mais il ne te fait pas un petit peu peur ? s’enquiert Mathilde.
- Non, maman. Il est comme à l’intérieur de moi, tu vois. A moitié dedans, à moitié dehors. Et je sais qu’il n’est pas vraiment vrai.
- Alors pourquoi est-ce que tu as pleuré quand la maîtresse n’a pas voulu qu’il joue avec tes petits camarades ?
La petite fille relève le nez vers Mathilde et la regarde en fronçant vaguement les sourcils:
- Parce que ça me fait de la peine, quand les grandes personnes n’ont pas d’imagination.
Mathilde se penche vers Lucie et l’embrasse tendrement sur le front.
- J’ai une idée ma Luciole, dit-elle d’une voix enjouée, est-ce que ça te plairait si on aller goûter au bord de la mer, rien que toi et moi ?
Le visage de Lucie s’éclaire d’un sourire fragile et elle acquiesce d’un petit signe de tête en essuyant son chagrin d’un revers de manche.
* * *
Maya et Diane déambulent dans une librairie.
Maya a besoin de papier. Et Diane feuillette distraitement des magazines en l’attendant. Soudain, une petite fille brune la bouscule.
- Laurine, tu pourrais dire pardon ! Lance alors une voix masculine.
La petite fille s’arrête, se trémousse, et bredouille un timide “pardon” à Diane.
- Je peux aller voir les BD, maintenant ? demande-t-elle à l’homme qui l’accompagne.
Diane se retourne et aperçoit un jeune homme de 25 ans environ, trop jeune pour être le père de la gamine. Sans doute, son grand frère ou un cousin. Il sourit à la fillette - et Diane sourit à son tour. Elle connaît bien ce sourire - le sourire qui dit “Elle me tape sur les nerfs, cette môme, mais je ne peux pas m’empêcher de l’adorer”.
- Oui, oui, vas-y.
Il s’adresse à Diane.
- Désolé.
- C’est pas grave, je sais ce que c’est.
La voix de Maya s’élève derrière l’étagère.
- Diane, est-ce que tu es prête à partir ? J’ai fini de … Romain !
- Eh ! Comment tu vas, bichette ?
Diane les regarde s’enlacer avec stupéfaction.
- Ça peut aller. Au fait…
Elle entoure les épaules de Diane.
- Je te présente Diane. C’est… la fille d’Antoine.
Si Romain est surprit - et Maya se doute bien qu’il l’est- il n’en montre rien. Elle l’embrasserait. Quoiqu’il arrive, il ne perd jamais son flegme et surtout, fait toujours en sorte de ne jamais faire perdre contenance aux autres. S’il n’y avait pas eu Antoine, Maya se disait souvent qu’elle se serait laissée séduire par ses beaux yeux marron.
- Romaaaaiiiiiiiiinnnnnnnn !
Celui-ci lève les yeux au ciel, avec une mimique faussement exaspérée.
- Le devoir m’appelle.
Il embrasse Maya sur la joue, fait un clin d’œil à Diane – qui rougit – et s’en va rejoindre Laurine. L’adolescente le regarde s’éloigner.
- Il est plutôt mignon.
Maya éclate de rire et l’entraîne vers les caisses.
- N’y pense même pas, jeune fille !
* * *
Sur la route qui la conduit vers la présumée maison de ses rêves, l’air qui entre par la fenêtre grande ouverte est tiède et la lumière naturelle commence à décliner derrière les collines. C’est l’heure magique où les hordes de touristes quittent les plages pour laisser leur place à quelques Niçois nostalgiques, inconditionnels des soirées qui se diluent en douceur. Mathilde tourne le bouton de la radio, saisie au vol une chanson qui lui met du baume au cœur, et se surprend à chanter à tue-tête.
« Pleurer pour un rien, acheter un chien, faire semblant d’avoir mal et mettre les voiles, fumer beaucoup trop, prendre le métro et te prendre en photo… Jeter tout par les fenêtres, t’aimer de tout mon être, je ne suis bonne qu’à ça, est-ce que ça te déçoit ? Je sais je suis trop naïve, de dresser la liste non exhaustive, de toutes ces choses que je voudrais faire, avec toi… »
Une fois devant le collège où Max est censé l’attendre, elle éteint le moteur, enclenche le frein à main et saute de sa voiture qu’elle verrouille de loin en appuyant sur son porte clef. Il est déjà là, à quelques mètres d’elle, adossé contre l’arrêt du bus. Il sourit en la voyant approcher.
- Je suis en retard ? s’inquiète t-elle en piquant un baiser sur sa joue.
- Peu importe. J’aime t’attendre, te chercher parmi les autres. Te trouver la plus belle.
Déjà, il l’entraîne par le bras. Quelques instants plus tard, ils pénètrent main dans la main dans une résidence aux couleurs pastel. Du bleu turquoise , du rose passée. Plusieurs petites maisons jumelles s’alignent le long d’un chemin de graviers où quelques voitures sont garées à l’ombre des oliviers. Le chant des cigales s’éteint doucement derrière un brouhaha de cris d’enfants.
- Il y a plein de gosses qui habitent ici, explique Maximilien en souriant, c’est parce qu’il y a une piscine.
Mathilde dodeline de la tête en admirant la vue. Elle ne pourra jamais se payer un endroit pareil, c’est certain. Elle descend derrière lui les quelques petites marches qui les séparent de la porte d’entrée de la deuxième maison. Lui sort un énorme trousseau de clefs et hésite quelques instants avant d’en faire tourner une dans la serrure. La porte s’ouvre dans un chuintement. A peine Mathilde a-t-elle passée la tête à travers l’encadrement de l’entrée qu’il s’est déjà précipité pour soulever les volets du salon et ouvrir grands les fenêtres. En quelques secondes, la pièce baigne dans une clarté dorée et la jeune femme ne peut retenir un soupir d’admiration. Le salon est grand et clair et donne directement sur un petit jardin bien garni. Elle y reconnaît des géraniums dont le rose est éclatant, du bougainvillier , un citronnier et devine l’odeur du jasmin. Une table en bois est dressée au milieu de la pièce sur laquelle sont posées quelques magasines en vrac. A leur droite, elle aperçoit l’escalier de bois dont il lui a parlé au téléphone.
- On peux monter ? demande t-elle avec enthousiasme.
- Bien sûr !
Lui grimpe les marches quatre à quatre et elle le suit en sautillant. A l’étage, quatre petites chambres se font face autour d’un hall ouvrant sur une salle de bain un peu délabrée.
- Ah oui, admet-il penaud, il y aura sans doute quelque travaux.
Elle hausse les épaules et se glisse déjà à l’intérieur d’une des deux chambres donnant face à la mer. La baie des anges s’étale sous leurs yeux et, au-delà des immeubles niçois, on peut même apercevoir le dôme  rose pale du Negresco *. Penchés au balcon, ils partagent l’émotion heureuse d’une complicité palpable. Mathilde pose une main sur les cheveux de Max et les ébouriffe tendrement.
- Alors, elle te plaît ?
- C’est sublime, reconnaît t-elle.
Un instant plus tard, elle s’est blottie entre ses bras et esquisse un sourire en sentant ses doigts effleurer sa nuque. Elle frémit sous la caresse mais retire sa main qui se fraye maintenant un chemin sous sa robe.
- Arrête, glousse t-elle, pas ici !
- Et pourquoi pas ? demande t-il avec malice.
- Mais on n’est pas chez nous, proteste t-elle sans conviction.
- Les propriétaires sont partis en vacances, chuchote t-il contre son oreille, et moi j’ai très, très, très envie de toi…
Elle rougit jusqu’aux oreilles. Déjà, il l’entraîne sur le sol et elle se laisse glisser à ses côtés.
- Tu es fou, murmure t-elle dans un souffle alors qu’il la déshabille avec empressement.
- On vous dérange peut-être ? Interroge soudain une voix grave juste derrière eux.
Les yeux de Mathilde s’ouvrent d’un coup, pareils à ceux d’une poupée que l’on redresse. Elle empoigne sa robe, roulée en boule à ses pieds, l’enfile à l’envers en une fraction de seconde, et se lève d’un bond en sentant ses joues se colorer. Max se lève à son tour en s’appuyant à la rambarde du balcon et bredouille quelques excuses inaudibles.
A la croisée du regard qu’elle échange avec le couple qui se tient dans l’encadrement de la baie vitrée, Mathilde est soulagée de remarquer un brin d’amusement dans leurs yeux. Alors, sans réfléchir d’avantage, elle s’avance vers eux et leur tend une main ferme:
- Enchantée je m’appelle Mathilde Hardeketing et voilà Monsieur Cantel, dit-elle en désignant Max d’un signe de tête, l’agent immobilier qui s’est chargé de me faire visiter votre maison. Maison qui par ailleurs est tout à fait charmante, ajoute t-elle en lançant à Max un regard complice.
Celui-ci acquiesce d’un hochement de tête ahurit, étonné par tant d’audace.
- Et alors, elle vous convient ? demande le propriétaire avec ironie.
- Vous plaisantez ? rétorque Mathilde d’une voix fluette, je l’a-d-o-r-e ! Non seulement elle est merveilleusement bien placée mais elle dégage vraiment de bonnes ondes!
Maintenant, Mathilde virevolte sur la terrasse en faisant de grands gestes. La femme debout face à elle a posé ses mains sur ses hanches et lance des coups d’oeils inquiets à son mari qui la considère sans savoir qu’elle contenance adopter.
- C’est excellent pour la kama sutra, s’exclame Mathilde sans parvenir à contenir le fou rire qui la gagne, excellent ! Vous avez dû beaucoup pratiquer ici, pour qu’il y ait de telles vibrations ! Je me trompe ?
Sans attendre la réponse des propriétaires, Max l’attrape par le bras et l’entraîne vers le hall en s’excusant.
- On doit déjà partir, s’écrie t-elle en dévalant l’escalier, mais je vous contacte !
Alors qu’ils se précipitent vers la porte d’entrée et détalent jusqu’à leurs voitures comme des voleurs, Max éclate d’un fou rire incontrôlable et communicatif.
- Dois-je comprendre que le prix de cette maison ne t’inquiète plus ? lance t-il à Mathilde entre deux hoquets.
La jeune femme rit de plus belle:
- Oh non alors, je te fais confiance !
* * *
Brusquement, Florence ouvre les yeux. Du fond de sa léthargie, elle met quelques secondes à se rappeler où elle se trouve et à revenir à l’instant présent. Sentant ses joues s’empourprer, elle chasse d’un geste de la main le rêve inattendu qu’elle vient de faire. Pâteuse et engourdie, elle jette un coup d’œil à sa montre qui lui indique qu’il est presque six heures.
- Merde, grommelle t-elle en s’extirpant du fauteuil dans lequel elle s’est assoupie depuis plus d’une demi-heure.
Elle doit être à la sortie de la garderie dans moins de dix minutes, ce qui est pratiquement infaisable étant donné qu’à cette heure-ci la circulation est dense à travers toute la ville.
- Merde, merde, merde, répète t-elle en se levant d’un bond.
D’un geste prompt, elle attrape sa veste accrochée au dossier de sa chaise, ramasse ses affaires qui traînent et les engouffre dans son sac qu’elle jette précipitamment sur son épaule.
Avant de sortir, elle jette un dernier coup d’œil pour vérifier qu’elle n’a rien oublié et son regard se pose par inadvertance sur le bouquet de roses qui trône sur son bureau.
Florence s’y attarde un instant. Soupire.
Et esquisse un sourire espiègle, sans même s’en apercevoir.
* * *
{Episode écrit avec la participation précieuse de Lulu_les_Mirettes)
· Prom: diminutif affectueux que donnent les Niçois à la « Promenade des Anglais », jetée longeant le bord de mer.
· Negresco : Construit en 1912 sur la célèbre Baie des Anges et classé Monument Historique, l’Hôtel Negresco à Nice est un prestigieux palace.